- Mad Money
- États-Unis
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- 2008
- RĂ©alisation. Callie Khouri
- Scénario. Glenn Gers
- d'après. le téléfilm Hot Money
- de. Terry Winsor (scénario: Neil McKay John Mister et Terry Winsor)
- Image. John Bailey
- Montage. Wendy Greene Bricmont
- Musique. Marty Davich, James Newton Howard
- Producteur(s). James Acheson, Jay Cohen, Frank DeMartini, Michael Flannigan
- Interprétation. Diane Keaton (Bridget Cardigan), Queen Latifah (Nina Brewster), Katie Holmes (Jackie Truman), Ted Danson (Don Cardigan), Adam Rothenberg (Bob Truman)
- Date de sortie. 23 juillet 2008
- Durée. 1h30
Ocean's Three, par Ophélie Wiel
En macro-Ă©conomie, la loi veut que le total de billets et de pièces d’un pays soit Ă©gal Ă sa rĂ©serve d’or, sous peine d’inflation galopante et d’effondrement de la monnaie. Des concepts bien trop sĂ©rieux pour trois drĂ´les de dames rĂ©unies par le sort, Bridget, Nina et Jackie, obligĂ©es pour survivre Ă voir dĂ©chiqueter sous leurs yeux effarĂ©s des millions de dollars Ă la Banque FĂ©dĂ©rale amĂ©ricaine, dans laquelle elles travaillent. Un jour, le trio se rĂ©volte contre cette absurditĂ©. Une jolie comĂ©die enlevĂ©e, riche de quelques piques bien Ă©picĂ©es contre le modèle Ă©conomique amĂ©ricain.
Bridget, quinquagĂ©naire Ă©panouie et au demeurant plutĂ´t heureuse, est dans tous ses Ă©tats: son mari, au chĂ´mage depuis un an, ne quitte plus son sofa, et leur maison de bons bourgeois de la middle-class risque de lui passer sous le nez. Alors, cette sage mère au foyer dĂ©cide de jouer le tout pour le tout et de trouver un emploi. Après moult recherches, elle finit par se faire embaucher comme femme de mĂ©nage Ă la RĂ©serve fĂ©dĂ©rale amĂ©ricaine. Abasourdie par ce qui se trame – la destruction de millions d’argent frais et leur disparition dans la benne Ă ordures –, elle dĂ©cide de monter une escroquerie envers et contre tout le dur système de surveillance pour empocher discrètement quelque menue monnaie avec deux copines de hasard, Nina, mère cĂ©libataire, et Jackie, nĂ©o-hippie diabĂ©tique que tout le monde prend pour une droguĂ©e.
Bridget, Jackie et Nina, ce sont les disciples du pauvre de Danny Ocean, le hĂ©ros des films Ă succès de Steven Soderbergh. Pas de casse du siècle ni de manipulations Ă©lectroniques de haut vol. Un cadenas achetĂ© dans un supermarchĂ©, un sac poubelle, des billets cachĂ©s dans le soutien-gorge ou dans la petite culotte, quelques yeux doux aux vigiles, et le tour est jouĂ©. N’ayant rien d’autre que leur culot et leur irrĂ©pressible besoin d’argent, les trois filles au caractère bien trempĂ© rĂ©ussissent ce dont tout escroc rĂŞve: voler Ă la barbe et au nez de son employeur tout en faisant profil bas. La technique est drĂ´le, et permet quelques clins d’Ĺ“il appuyĂ©s au film de genre, rĂ©sumĂ© Ă une Ă©conomie de moyens impressionnantes: le mot de passe pour le casse? Un doigt passĂ© sur les sourcils. Voler? Il suffit de danser devant la camĂ©ra de surveillance tout en jetant l’argent… dans une poubelle, rĂ©cupĂ©rĂ©e par une complice femme de mĂ©nage. Les rendez-vous? Dans les toilettes des filles, bien sĂ»r, seul endroit oĂą la camĂ©ra ne peut s’immiscer.
Callie Khouri, rĂ©alisatrice dont on ne rattachera le nom qu’au scĂ©nario de Thelma et Louise. affirme dĂ©jĂ un vĂ©ritable talent pour la comĂ©die. Bons mots et rythme soutenu s’enchaĂ®nent au rythme de flash-forwards montrant la bande d’escrocs (femmes et Ă©poux mĂŞlĂ©s Ă l’affaire) rigolant de leur bonne blague lors de leur garde Ă vue. La rĂ©ussite de Mad Money tient d’abord Ă ces hĂ©roĂŻnes ordinaires, rĂ©ussissant des actes extraordinaires comme si rien n’Ă©tait plus facile au monde. Smicardes le jour, millionnaires la nuit, ces petites frappes ne se rendent pas compte de ce qu’elles font: voler des billets qui vont ĂŞtre dĂ©truits, est-ce vraiment du vol quand l’honnĂŞtetĂ© n’est pas rĂ©compensĂ©e? Peut-on leur en vouloir quand elles ne font qu’appliquer la philosophie constitutive de l’AmĂ©rique? Et quand la police, ne sachant plus quoi faire d’elles, les somme de payer leurs impĂ´ts sur l’argent qu’elles ont volĂ©, elles ne peuvent qu’Ă©carquiller de grands yeux d’incomprĂ©hension.
Car Mad Money. c’est aussi une satire rĂ©ussie des États-Unis, comme seuls les AmĂ©ricains savent le faire. Ă€ Nina qui refuse d’abord de faire partie de son escroquerie en lui assĂ©nant un «Je ne veux pas des choses que je ne peux pas avoir», la comploteuse Bridget rĂ©torque: «Est-ce que tu vis en AmĂ©rique?» Loin d’un idĂ©alisme Ă la Capra, Mad Money saisit les contradictions de cette terre promise oĂą tout va pour le mieux ma bonne dame, mais oĂą l’on en est aussi rĂ©duit Ă toute forme d’extrĂ©mitĂ© pour survivre. Les thèmes brassĂ©s sont larges et en rĂ©alitĂ© peu approfondis, car les ressorts comiques restent au fond la principale prĂ©occupation du film, bien au-delĂ de quelconques saillies sociales, mais on retiendra quelques rĂ©pliques bien salĂ©es, comme celle de Jackie expliquant comment Bridget a eu son idĂ©e de gĂ©nie: «Elle Ă©tait partie faire du shopping, comme tout bon AmĂ©ricain»; ou celle de Bridget Ă son mari, affolĂ© que l’acte de sa femme puisse dĂ©valuer le dollar par rapport au yen: «Eh bien, le yen n’aura qu’Ă prendre soin de lui tout seul.» Évidemment, on a vu plus fĂ©roce, plus profond, mais les comĂ©dies au sous-texte autre que grossier ou sexiste se font si rares qu’on se doit d’apprĂ©cier celles qui sortent du lot.
SurvoltĂ©es, les trois actrices principales font merveille, de Diane Keaton dont le passage Ă l’âge douloureux pour une actrice s’effectue dĂ©cidĂ©ment comme un charme, Ă Queen Latifah, Ă©patante en mère dĂ©cidĂ©e Ă sortir ses enfants de leur destin de petits Noirs Ă©levĂ©s dans les quartiers pauvres. On retiendra surtout la performance de Katie Holmes, qui assume la vulgaritĂ© et la bĂŞtise de son personnage avec un plaisir communicatif. Si Mad Money ne fera pas beaucoup de vagues, il n’en reste pas moins qu’avec un cocktail si dĂ©tonnant de talents, on rĂ©ussit une charmante petite comĂ©die enjouĂ©e et rebondissante. On n’en demandait mĂŞme pas tant.
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